Diversité des migrations
Selon les espèces, le comportement migratoire peut être très différent. Certaines ne vont parcourir que quelques centaines de kilomètres, lorsque d’autres effectuent presque un tour du monde chaque année. Au sein d’une même espèce, en fonction de la latitude à laquelle ils nichent, les oiseaux n’effectuent pas forcément le même type de migration : ce sont souvent ceux qui nichent le plus au Nord qui iront hiverner le plus au Sud !
Le plus célèbre d’entre les migrateurs est la sterne arctique : elle parcourt à chaque migration pas moins de 20 000 km entre l’Arctique et l’Antarctique, profitant ainsi des étés boréal et austral. Un tel trajet a été sélectionné par l’évolution pour permettre la meilleure survie de l’espèce : on a mesuré chez cette espèce presque 90 % de survie annuelle en moyenne chez les adultes, soit autant que les sternes migrant moins loin (Glutz von Blotzheim & Bauer 1982).
Certains petits passereaux sont également capables d’effectuer des déplacements impressionnants : le traquet motteux ou le pouillot verdâtre peuvent ainsi parcourir jusqu’à 10 000 km lors d’un trajet migratoire !
Le régime alimentaire est le principal déterminant de la distance parcourue lors de la migration.
Chez les petits passereaux, les insectivores comme les pouillots, les martinets ou les fauvettes effectuent des migrations beaucoup plus longues que les granivores que sont les gros-becs ou les chardonnerets (en moyenne 2 fois plus longues à 40°N, mais 4 fois plus à 65° N) ; les passereaux à régime alimentaire mixte (granivore et insectivore) comme le rouge-gorge ou la fauvette à tête noire migrent à des distances intermédiaires entre ces deux groupes (Newton 2003).
De même, chez les rapaces du paléarctique occidental, toutes les espèces migratrices se nourrissant d’animaux à sang chaud (rongeurs, oiseaux, micromammifères) comme les busards ou l'aigle botté hivernent au nord du Sahara (17 espèces), quand presque toutes celles se nourrissant de proies à sang froid comme le circaète Jean-le-Blanc ou le balbuzard pêcheur (lézards, serpents) hivernent au sud du Sahara (7 sur 8). Chez les 12 espèces pouvant alterner les deux types de proies, 8 hivernent à la fois au nord et au sud du Sahara (Newton 1998).
Arrêtons nous maintenant sur les barrières physiques : océans, montagnes, déserts, glaciers. Outre les risques de mortalité directe qu’elles constituent pour les oiseaux migrateurs, les barrières physiques ont eu de profondes influences sur l’évolution des migrations. D'une part en jouant le rôle de « stop » au comportement migratoire : la migration de certaines espèces ne dépassera pas cette barrière ; c’est par exemple le cas du Sahara pour beaucoup de migrateurs : à peine 1/3 des espèces migratrices hivernant en Afrique passent cette barrière. D'autre part en entraînant des détours, de façon à contourner la barrière. Le Sahara représente 2000 km de sable sans eau ni nourriture et quasiment sans ombre. Il est plus difficile pour les oiseaux de le franchir à l'automne, car les vents contraires les obligent à voler bas et ils sont donc plus exposés à la chaleur, ce qui explique que beaucoup migrent alors de nuit et se posent à l'aube, si possible à l'abri d'un caillou. La migration prénuptiale du printemps est plus facile car les oiseaux profitent alors de vents favorables permettant un vol d'altitude.
En Asie centrale occidentale, pour rejoindre leurs quartiers hivernaux sud asiatiques, les passereaux migrateurs n’ont pas un choix des plus faciles (Bolshakov 2003) : soit ils traversent une grande étendue désertique, soit la chaîne montagneuse du Tien Shan et de l’Hindukush (sur 2000 km de large). Il s’avère qu’en automne les passereaux privilégient la traversée des montagnes, qui présentent plus de possibilités de haltes et de ressources alimentaires. Ils franchissent cependant les montagnes dans leur partie occidentale, là où les vents sont les moins puissants. Au printemps, au contraire, les habitats favorables sont très rares dans les montagnes encore soumises à l’hiver, et les oiseaux sont beaucoup plus nombreux à passer par le désert.
Petites et grandes migrations
On classe généralement les migrateurs en deux catégories principales, sans limite nette, en fonction de leur distance de migration :
Les migrateurs au long cours (ou migrateurs longue-distance). Les plus connus dans nos pays sont les migrateurs transsahariens, à aire de reproduction paléarctique et dont tous les individus (sauf de rares exceptions) hivernent au sud du Sahara.
Il s’agit principalement d’espèces insectivores, dont la source d’alimentation est trop rare au nord du Sahara en hiver pour subvenir aux besoins de leurs populations.
En France, le retour des migrateurs transsahariens peut s’effectuer dès la fin du mois de février (sarcelle d’été, hirondelles), bat son plein en avril et se prolonge jusqu’à la fin du mois de mai (rousserolles, hypolaïs). La migration postnuptiale se déroule principalement en août, et avec une intensité moindre en septembre. Il en reste très peu en octobre.
Les migrateurs petit et moyen courrier (ou migrateurs courte et moyenne distance) : les déplacements migratoires sont de l’ordre de quelques dizaines à quelques milliers de kilomètres. Ce groupe comporte peu d’insectivores stricts. Le rouge-gorge familier, la fauvette à tête noire ou le rouge-queue noir sont des migrateurs courte distance : ils hivernent dans le sud de l'Europe ou dans le Nord de l'Afrique. Ces migrateurs partent en général plus tard en automne que les migrateurs longue distance, et ils reviennent plus tôt au printemps. La majorité des espèces de cette catégorie sont ce que l’on nomme des migrateurs partiels.
Les migrateurs partiels
Les populations ou espèces chez lesquelles seule une partie des individus effectue une migration, ou dont le renouvellement (les oiseaux du nord remplaçant ceux du sud) donne l’impression d’une présence continue tout au long de l’année, sont dites migratrices partielles. Il s’agit généralement d’espèces migratrices petit ou moyen courrier. Très peu d’espèces migratrices au long cours rentrent également dans la catégorie des espèces migratrices partielles. On peut néanmoins citer l’exemple de la gorgebleue à miroir, dont les populations scandinaves effectuent de très grandes migrations (5000 km), alors que ceux de l’ouest de la France hivernent en général à moins de 1000 km de leur lieu de nidification et qu’une partie des oiseaux espagnols est sédentaire.
On peut distinguer deux échelles lorsque l’on parle de migration partielle :
1. L'échelle "espèce" : le comportement migratoire varie selon les populations. On distingue alors la migration en boucle où les populations septentrionales migrent, mais pas les plus méridionales, et la migration en chaîne : les hivernants nordiques remplacent les nicheurs locaux, eux-mêmes partis hiverner plus au sud, ce qui donne l’impression d’une présence continue de l’espèce tout au long de l’année.
2. L'échelle "population" : au sein d'une même population, seule une partie des oiseaux effectue une migration.
Il est parfois difficile de définir une frontière nette entre sédentarité et migration partielle au niveau de l’espèce. Par exemple, le troglodyte mignon ou la corneille mantelée semblent majoritairement sédentaires, mais une petite partie des individus migre. Deux hypothèses évolutives permettent d’expliquer ce phénomène:
L’hypothèse génétique : la décision de migrer ou non est héritée des parents. La proportion de migrateurs et de sédentaires au sein d’une population va changer au cours du temps, en fonction du taux de survie des deux catégories. Si l’on assiste à une succession d’hivers doux, les sédentaires auront une meilleure survie (ils peuvent passer l’hiver tranquillement, et ne subissent pas de pertes liées aux risques de la migration), et la population deviendra majoritairement sédentaire. L’inverse se produit après un hiver très froid, qui occasionne beaucoup de mortalité chez les sédentaires.
L’hypothèse comportementale : les ressources hivernales sont limitées, et ne suffiraient pas à toute la population. Certains individus sont donc obligés de migrer pour survivre : ils sont perdants par rapport aux sédentaires, mais c’est la seule possibilité pour maintenir la population à son effectif. Cette hypothèse complète la première.
On peut ainsi regrouper en 6 catégories les espèces en fonction de leur distance de migration (Newton, 2003) :
- Présente toute l’année à travers l’ensemble de l’aire de répartition : tétras lyre, pic cendré, pie bavarde, moineau domestique...
- Présente uniquement l’été dans le nord de l’aire de répartition, toute l’année dans le sud : pigeon ramier, alouette des champs, serin cini, rouge-gorge familier...
- Présente toute l’année dans le nord de l’aire de répartition, seulement en hiver dans le sud : merle noir, mésange boréale, mésange lapone...
- Présente uniquement l’été dans le nord de l’aire de répartition, toute l’année aux latitudes intermédiaires et seulement en hiver dans le sud : bécasse des bois, corbeau freux, étourneau sansonnet, grive mauvis...
- Aire de répartition estivale immédiatement au nord de l’aire de répartition hivernale : tournepierre à collier, coucou geai, gorgebleue à miroir, merle à plastron...
- Aire de répartition estivale séparée de l’aire de répartition hivernale par un intervalle uniquement franchi lors de la migration : sterne arctique, rousserolle effarvatte, faucon hobereau, bécasseau cocorli...
Les axes de migration
La grande majorité des migrations dans les régions tempérées sont globalement orientées selon un axe Nord-Sud. En règle générale, les oiseaux d’Europe de l’Ouest migrent plutôt vers le sud-ouest à l’automne, et ceux d’Europe de l’Est vers le sud-est. Presque tous les oiseaux terrestres européens migrant sur de longues distances le font vers l’Afrique. On connaît cependant de rares exceptions : ainsi, la pie-grièche écorcheur quitte l’Europe de l’Ouest pour aller hiverner au Moyen-Orient. Le faucon d’Eléonore emprunte le même genre de route migratoire (mais pour finalement hiverner à Madagascar).
Mais à distance à peu près égale de l’aire de reproduction, on peut se demander quel choix font les oiseaux, entre Afrique et Asie ? Une étude menée sur les captures de passereaux dans les zones arides de l’ouest de l’Asie Centrale (Bolshakov 2003) a montré que le nombre d’espèce hivernant en Afrique (25) et en Asie (23) était assez semblable (et 8 espèces hivernant dans les deux zones).
La plupart des espèces migre sur un front très large, mais elles peuvent orienter leur migration en fonction de la configuration géographique des lieux : les côtes ou les vallées fluviales peuvent servir de lignes directrices. La présence d’obstacles détermine également certaines voies de migration, formant, pour le plus grand plaisir des « spotteurs », ce que l’on appelle des « entonnoirs à migrateurs », de trois principaux types.
- Le premier résulte de la réticence des rapaces et des cigognes à survoler la mer – l’absence d’ascendances thermiques les y oblige à battre des ailes et donc à dépenser plus d’énergie. Ils orientent donc une grande partie de leur migration en fonction de cette contrainte : probablement près des trois quarts des rapaces d’Europe transitent ainsi par le détroit de Gibraltar et par celui du Bosphore. Ils passent en moindre nombre par la Sicile, gagnant ensuite la Tunisie.
- Le second type, plus général (et qui peut aussi englober le premier), concerne tous les migrateurs : au moins deux contraintes physiques canalisent les oiseaux au centre. Ce peut être deux versants montagneux, un versant montagneux d’un côté et la mer (ou un grand lac, comme le Léman) de l’autre, etc. La contrainte n’est pas forcément liée au paysage : ce peut être le vent. C’est ainsi la tramontane qui, à Gruissan (Aude), rabat les migrateurs vers l’est, et la mer, de l’autre, qui les bloque. Il en est de même pour les oiseaux marins poussés par le vent près des côtes et bloqués par la terre. Le suivi de la migration est donc souvent très dépendant des conditions atmosphériques : en l’absence de vent, les oiseaux sont moins – ou ne sont plus – canalisés.
- Le troisième type est illustré par les îles telles qu’Ouessant, qui, de manière évidente, jouent ce rôle d’entonnoir pour les oiseaux perdus au large, et plus encore lorsqu’un phare attire les oiseaux.
On observe également des déplacements plutôt longitudinaux chez certaines espèces. Ainsi, les mouettes rieuses d’Europe centrale viennent hiverner en Europe de l’Ouest ; il en est de même pour certains canards, tels que les fuligules nichant au lac de Grand-Lieu et fréquemment observés en hivernage en Île-de-France.
Certaines populations continentales de passereaux ont récemment modifié leurs habitudes migratoires (par exemple la fauvette à tête noire) pour aller hiverner non plus vers le sud mais vers l’ouest, en bord de mer où les températures demeurent clémentes.
Enfin, ce n’est pas nécessairement le même axe qui sera emprunté lors de la migration prénuptiale et lors de la postnuptiale : c’est le cas des migrations en boucle, qui semblent concerner à plus ou moins grande amplitude la majorité des espèces. A petite échelle, citons un grand nombre de passereaux transsahariens quittant la France à l’automne en longeant la façade atlantique, et remontant au printemps majoritairement depuis la façade méditerranéenne, en suivant un trajet plus direct. Par exemple, les hirondelles de rivages britanniques quittent le pays en passant par la façade océanique française, mais le regagnent au printemps par l’Europe Centrale.
En Europe, les cas les plus fréquents de migration en boucle s’organisent dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Il existe toutefois quelques espèces redescendant plus à l’est à l’automne et remontant plus à l’ouest au printemps : le loriot d’Europe ou le rollier d’Europe, pas exemple.
A plus grande échelle, des migrations en boucle sont effectuées par plusieurs espèces pélagiques, longeant par exemple les côtes ouest de l’Atlantique lors de la migration prénuptiale, et les côtes orientales à l’automne (cas du puffin fuligineux). Les contraintes météorologiques et les variations d’abondance des ressources alimentaires en fonction des saisons sont probablement les principales causes de ce phénomène.
Les migrations altitudinales
Si beaucoup d'oiseaux migrent du Nord au Sud contraints par le manque de nourriture, beaucoup d’oiseaux montagnards migrent, eux, des sommets vers les plaines, pour gagner en hiver des milieux moins exposés au gel et à la neige.
Ainsi de nombreuses espèces montagnardes fuient, l’automne venu, les zones d’altitude devenues trop inhospitalières. Ce phénomène s’observe principalement chez les passereaux : en France, on peut citer le pipit spioncelle, l’accenteur alpin, le tichodrome échelette, le crave à bec rouge, la niverolle alpine, le venturon montagnard ou le bruant fou. Ces déplacements peuvent être locaux ou s’effectuer sur plusieurs centaines de kilomètres, même au sein d’une même espèce ou d’une même population.
Ces migrations peuvent ainsi conduire ces espèces jusqu’en plaine, et pas nécessairement au sud de leur aire de nidification. Ainsi, les oiseaux de l’arc alpin gagnent volontiers la vallée du Rhône à l’ouest, et ceux du Massif Central et des Pyrénées peuvent hiverner plus au nord. Les migrations du tichodrome peuvent le pousser à hiverner jusqu’en Normandie ou en Île-de-France. Ainsi l'année 2007 aura marqué les ornithologues parisiens, un tichodrome ayant séjourné plusieurs jours au Panthéon !
D'autres types de migration