Migrateurs et changements climatiques
Depuis quelques années, les questions abondent sur les forums de discussion naturalistes concernant l'observation précoce d'hirondelles ou de martinets noirs. Il est établi que certaines espèces reviennent plus tôt de migration qu'il y a vingt ans, repartent plus tard, voire modifient leurs habitudes en hivernant sur le littoral atlantique ou le bassin méditerranéen plutôt que de gagner des zones transahariennes. Ainsi des populations de fauvettes à tête noire d'Europe de l'Est se dirigent à l'automne vers l'Europe de l'Ouest plutôt que de migrer en Europe du Sud et sont observées en hivernation en Grande-Bretagne. Des cigognes blanches et des grues cendrées hivernent désormais dans le Sud de la France, modifiant quelque peu leur image séculaire de migrateur au long cours ! Le gobe-mouche noir en revanche semble être affecté des modifications climatiques : sa migration de retour des tropiques africains est déclenchée par une horloge interne très précise et il arrive désormais que son arrivée ne coïncide plus avec le pic d'émergence des insectes, lequel est plus précoce du fait des températures plus douces en fin d'hiver. Les conséquences de ce décalage peuvent être dramatiques car les ressources alimentaires ne sont plus suffisantes pour le nourrissage des jeunes, ce qui induit une mortalité accrue de ces derniers et une plus grande fragilité physiologique des adultes.
Au sein d’une même espèce, le calendrier migratoire est également susceptible de varier plus ou moins au cours du temps. Il s’agit principalement d’une réponse aux modifications climatiques. Cette flexibilité peut s’observer à très court terme : d’une année sur l’autre, on a montré que les hirondelles rustiques avançaient leur date d’arrivée d’1,6 à 1,8 jours pour 1°C d’augmentation de température (Spark 1999). A plus long terme, on constate que ce glissement du timing migratoire peut se faire simplement sur les individus précurseurs, sur la médiane du passage ou sur les individus retardataires. Par exemple, lors de la migration postnuptiale du pouillot fitis en Allemagne (Fiedler 2003), entre 1972 et 2000, on n’observe aucune différence de timing migratoire à la station de baguage de Mettnau pour les 50% d’individus passant en premier, mais le cap de 80 % et 95 % d’individus capturés survient de plus en plus tard dans la saison entre ces deux dates.
Le réchauffement climatique global semble être la principale cause de cette modification du timing : la tendance est à l’avancée des dates d’arrivée et aux départs plus tardifs (mais il existe plusieurs contre-exemples). Les températures chaudes arrivant plus tôt en saison, le pic d’abondance de certains insectes s’en trouve avancé, et pour pouvoir en profiter et le faire coïncider avec l’élevage des jeunes, certains migrateurs doivent en effet trouver une réponse adaptative très rapide pour mener à bien leur reproduction : arriver plus tôt, ou pondre plus tôt.
Les dates d’arrivées des migrateurs petit courrier sont bien corrélées avec les températures locales, alors que celles des premiers migrateurs au long cours s’avèrent plutôt corrélées (négativement) avec l’indice NAO (Oscillation de l’Atlantique Nord) dans toutes les phases de la migration (significatif pour 79% des espèces étudiées) : les arrivées sont plus précoces lorsque le NAO est positif (Vähätalo et al. 2004), c'est-à-dire lorsque la différence entre la haute pression de l’anticyclone des Açores et la basse pression de la dépression de l’Islande augmente. Un NAO positif implique des températures hivernales plus douces en Europe, des basses pressions résultant des vents d’ouest qui repoussent l’air froid venu de Sibérie.
Van Noordwijk (2003) propose trois hypothèses : soit un NAO positif implique des températures plus élevées, un vent plus fort et une humidité plus prononcée, ce qui peut augmenter les possibilité d’alimentation en début de printemps et ainsi accélérer la migration ; soit la variation du NAO affecte également le climat africain, et peut participer à un déclenchement hâtif de la migration ; ou encore le climat en Afrique n’a pas changé et seule la sélection naturelle des oiseaux quittant plus tôt les zones d’hivernages participe à cette modification à long terme. Les travaux menés par Cotton (2003) supportent plutôt la seconde hypothèse.