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Tournepierre à collier (Arenaria interpres)
Fig. 1 - Jan van der Straaten (Saxifraga)
Fig. 1

Tournepierre à collier, Arenaria interpres (Linné, 1758)

Classification (ordre, famille): Charadriiformes, Scolopacidés

Description de l'espèce

Le Tournepierre à collier est un petit limicole trapu et court sur pattes. Au printemps, le mâle adulte se reconnaît facilement à son plumage très coloré. Le dessus (manteau et scapulaires) est noir rayé de roux vif avec quelques pointes blanches. Le bas du dos et le croupion blancs contrastent fortement avec les sus-caudales noires. La tête et le cou sont ornés de dessins originaux. Le front blanc porte une bride noire allant jusqu'à l'œil et redescend derrière la joue. Le dessus de la tête est blanc plus ou moins strié de noir. Les côtés de la tête sont blancs limités par une bande noire remontant vers la nuque. Un plastron noir entoure la poitrine jusqu'à rejoindre les bandes noires du manteau. Le dessous du corps blanc éclatant met en évidence les pattes rouge-orange. L'iris est brun noir. Le bec court et pointu est noir. Sa forme conique permet au tournepierre de retourner des cailloux, des algues, des morceaux de bois ou d'autres objets dans le but d'extraire des proies cachées.

La femelle arbore un plumage moins éclatant, avec notamment le dos plus sombre et moins de roux. La calotte est également sombre.

En automne et en hiver, le plumage des deux sexes est terne. Le dessus du corps est brun foncé, finement écaillé de liserés pâles. En hiver, la tête, le cou et la poitrine sont d'un brun terne et le plastron noirâtre s'est élargi. En revanche, le dessous du corps et la gorge restent blancs.

Le jeune ressemble à l'adulte internuptial avec des liserés beige roussâtre sur le manteau et le plastron plus brun et étroit.

En vol, le tournepierre surprend par le fort contraste existant entre les marques blanches, invisibles au repos, au niveau des barres alaires, des épaulettes, et du dossard et le reste du plumage noir ou brun foncé (rémiges, manteau, croissant noir du croupion, couvertures sus-alaires et barre terminale de la queue). Les déplacements en vol sur de faibles distances s'effectuent au ras de l'eau le plus souvent sans se presser. Mais il peut voler très rapidement et prendre de la hauteur au cours de longs trajets.

La mue complète de l'adulte intervient entre fin juillet et novembre. Chez le jeune, la mue partielle se situe entre fin août et novembre.

Le répertoire vocal du Tournepierre à collier apparaît limité en période internuptiale. En activité de recherche de nourriture, il observe généralement le silence. Des gazouillis discrets peuvent cependant être perçus. C'est en vol qu'il se manifeste bruyamment par des cris perçants émis en brèves séries espacées, ou en notes détachées. Sur les sites de nidification, les vocalisations sont plus variées. Le répertoire du mâle territorial comprend plusieurs versions de trilles perçantes (GEROUDET, op. cit. ; Tous les oiseaux d’Europe, J-C ROCHE, CD 2/plage 61).

Longueur totale du corps : 22-24 cm. Poids : 110 g (73 à 195 g) (GEROUDET, op. cit. ; Cramp et al., 1998).

Difficultés d’identification (similitudes)

Même en vol, le Tournepierre à collier ne peut être confondu avec aucune autre espèce de limicole présente en France.

Répartition géographique

Le Tournepierre à collier est une espèce holarctique de distribution boréale. La sous-espèce nominale se reproduit en Alaska, dans le nord-est du Canada et sur le littoral arctique, du Groenland à la Sibérie orientale. Cette sous-espèce occupe également la Fennoscandie jusqu'au sud de la Suède, ainsi que le Danemark avec quelques dizaines de couples nicheurs, mais apparaît absente d'Islande. Quant à la sous-espèce A.i. morinella, son aire de reproduction se limite au nord-est de l'Alaska et aux régions subarctiques du Canada (DEL HOYO et al., 1998).

En période internuptiale, la distribution du tournepierre est très cosmopolite. Il fréquente les côtes du continent américain jusqu'au Chili et l'Argentine, celles de toute l'Afrique, de Madagascar, d'Europe occidentale, de l'Asie du sud et du sud-est ainsi que l'Australie, la Nouvelle Zélande et un grand nombre d'îles du Pacifique (DELANY & SCOTT, 2002 ; DEL HOYO et al., op. cit.).

Les côtes de l'Europe occidentale (surtout la France et la Grande Bretagne) sont fréquentées en période de migration par les tournepierres canadiens et groenlandais hivernant en Afrique et par les nicheurs d'Europe septentrionale dont un grand nombre d'oiseaux séjourne également sur les côtes africaines, du Maroc à l'Afrique du Sud (Stroud et al., 2004).

En France, les hivernants sont originaires du nord de l'Europe et probablement de l'ouest de la Sibérie (GEROUDET, op. cit.). Une partie de la population nicheuse du nord-est canadien hiverne également dans l'hexagone. Essentiellement côtier, le tournepierre séjourne sur le littoral Manche-Atlantique, surtout entre le Contentin et les pertuis charentais. Il est régulier sur le littoral méditerranéen, mais néanmoins avec des effectifs toujours très faibles (MAHEO, 1978-2002, Deceuninck et al., 2004). Il est rare en Corse. Sa présence à l'intérieur reste exceptionnelle, sauf en période de migration (LPO, 2005).

Ecologie

Le Tournepierre à collier s'installe pour nicher principalement sur des îlots rocheux bas, comportant un ensemble de blocs de pierres, de galets, de sable et de végétation basse ou clairsemée. Des buissons et des arbres isolés peuvent être tolérés, mais la juxtaposition du rivage, de zones nues et d'une végétation rase ou lacunaire apparaît impérative. L'espèce occupe également les côtes des fjords, les prairies littorales et divers types de toundras.

En période internuptiale, le tournepierre fréquente principalement les côtes rocheuses où alternent des petites baies sableuses ou sablo-vaseuses. Il marque un intérêt certain pour d'autres substrats durs, comme les digues artificielles, les brise-lames, ou bien encore les jetées et les ports. Secondairement, les vasières, les plages de sable riches en "laisses" de mer ou les bancs de coquillages exondés sont habités par l'espèce. A marée haute, il visite également les champs et les prairies arrières-littorales (Cramp et al., op. cit.).

Comportement

Les tournepierres rejoignent leur site de reproduction de la fin avril à début juin pour les nicheurs les plus septentrionaux. Dès leur arrivée, le couple se forme, le mâle courtise la femelle en paradant à terre et les accouplements s'accompagnent souvent de simulations d'aménagement de nid initiés par la femelle, comportements que l'on observe chez d'autres espèces de limicoles.

Dès juillet, les adultes quittent les sites de nidification, suivis des jeunes en août. Ces migrations concernent des oiseaux qui transitent par la France pour hiverner en Afrique. Les migrateurs les plus tardifs, observés en France de septembre à fin octobre, restent sur place pour hiverner (MAHEO, 1991).

Reproduction et dynamique des populations

Le nid est une simple cuvette plus ou moins garnie de matériaux, selon le degré d'humidité du sol. Son emplacement est variable. On le trouve complètement à découvert parmi les cailloux dans une touffe de végétation ou sous un buisson, mais également contre une pierre, dans une crevasse, voire même sous un bloc de rocher.

La ponte, qui comprend généralement 4 œufs (extrêmes, de 3 à 5 oeufs), est déposée selon la latitude, de la mi-mai à fin juin, voire début juillet.

L'incubation assurée par les deux adultes dure de 22 à 24 jours (maximum : 27 jours).

Dès l'éclosion, les poussins peuvent se déplacer, surveillés surtout par le mâle, la femelle s'acquittant de la surveillance du territoire. L'envol des jeunes intervient à l'âge de 19-21 jours.

Le succès de la reproduction varie entre 50 et 70 % en Finlande et au Canada.

Le Tournepierre se reproduit à partir de 2 ans et effectue une seule ponte par saison. Des pontes de remplacement sont parfois observées, seulement peu de temps après l'échec de la première, notamment dans le golfe de Botnie dans la mer Baltique. Aucun cas de remplacement n'existe au nord du cercle polaire arctique (CRAMP et al., op. cit.).

La longévité maximale observée est d’environ 20 ans (STAAV, 1998)

Régime alimentaire

L'éclectisme alimentaire est de règle chez le Tournepierre à collier. Sur les sites de nidification, les insectes et leurs larves dominent, en particulier les diptères. Il consomme également des araignées, des crustacés, des mollusques et des vers. Ce régime alimentaire est complété par des baies, des graines, des mousses et des algues. En période internuptiale, le régime est encore plus varié. Si les crustacés, les insectes et les mollusques sont préférés, la part des organismes marins augmente (balanes, crabes, moules, littorines, gammares, etc…). Il consomme également des cadavres de poissons, de mollusques et d'oiseaux, ainsi qu'une grande variété de déchets qu'il trouve dans les dépôts ou dans les laisses de mer (CRAMP et al., op. cit.).

Habitats de l’Annexe I de la Directive Habitats susceptibles d’être concernés

1110 - Bancs de sable à faible couverture permanente d'eau marine (Cor. 11.125, 11.22 et 11.31)

1130 – Estuaires (Cor. 13.2 et 11.2)

1140 - Replats boueux ou sableux exondés à marée basse (Cor. 14)

1150* - Lagunes côtières (Cor. 21)

1160 - Grandes criques et baies peu profondes (Cor. 12)

1170 – Récifs (Cor. 11.24 et 11.25)

1230 - Falaises avec végétation des côtes atlantiques et baltiques (Cor. 18.21)

1310 - Végétations pionnières à Salicornia et autres espèces annuelles des zones boueuses et sableuses (Cor. 15.1)

Statut juridique de l'espèce 

Espèce protégée (article.1er, arrêté modifié du 17/04/81), inscrite à l'Annexe II de la Convention de Berne et à l’annexe II de la Convention de Bonn.

Présence de l'espèce dans les espaces protégés 

La proportion de l'effectif national recensé qui hiverne dans des espaces protégés n'est pas connue avec précision, en raison de la distribution très diffuse des oiseaux sur la quasi totalité du littoral rocheux de la Manche et de l'Atlantique. En revanche, grâce aux recensements annuels de la mi-janvier, on connaît l'importance des sites côtiers pour l'hivernage de l'espèce. Bon nombre d’entre eux bénéficient de mesures de protection (réserves naturelles, réserves de chasse, ZPS). Selon les années, 7 000 à 9 000 tournepierres sont dénombrés à la mi-janvier dans 32 sites désignés en ZPS, ce qui représente 60 à 77 % de l'effectif national compté. Les sites principaux sont : la presqu'île Guérandaise, l’île de Ré, la baie de Morlaix et l’estuaire de la Penzé (LPO, 2004). 

Etat des populations et tendances d'évolution des effectifs

Le statut de conservation du Tournepierre à collier, était considéré favorable en Europe durant les années 1990, (HAGEMEIGER & BLAIR, 1997). Plus récemment, les informations concordent sur le fait que la population nicheuse européenne serait stable (DELANY & SCOTT (op. cit.), BIRDLIFE INTERNATIONAL, 2004).

La population nicheuse européenne est estimée à 34 000 - 81 000 couples (Groenland inclus) (Stroud et al., 2004 ; BIRDLIFE INTERNATIONAL, 2004). Les populations les plus nombreuses sont situées en Russie (2 700 à 17 000 couples), en Norvège (5 000 à 15 000 couples) et en Suède (3 000 couples). Les effectifs nicheurs du Groenland, dont une partie hiverne en Europe, sont estimés à 20 000 - 40 000 couples (Stroud et al., 2004).

La population hivernant en Europe est estimée à plus de 94 000 individus (STROUD et al., 2004).

En France, l'analyse des recensements annuels réalisés par Wetlands International depuis 1979 montre une augmentation importante de la population hivernante. Un accroissement significatif a été noté entre 1979 et 1992, avec une moyenne de 4 900 individus pour la période 1979-1985 et 6 770 pour celle de 1986-1992. Un déclin sensible intervient en 1993, puis la tendance redevient nettement positive (DECEUNINCK & MAHEO, 2000 ; DECEUNINCK, 2003). Les effectifs atteignent des maxima de 12 500 oiseaux en 2001 et près de 13 000 en 2004 (LPO, 2005-non publié).

Avant 1980, la Bretagne accueillait 90 % de la population hivernante (MAHEO, op. cit.). En 2002 et 2003, les résultats des comptages mettent en évidence une diminution de l’importance relative de cette région (56 et 58 %). Cette diminution peut être liée à une meilleure répartition de l'espèce le long des côtes de la façade Manche-Atlantique, mais également à l'absence de dénombrements sur de nombreux secteurs rocheux, difficilement accessibles, conduisant à une sous-estimation de l'effectif réel. La tendance à l’augmentation est cependant très forte sur les principaux sites situés en dehors de la Bretagne, expliquant pour partie la croissance des effectifs nationaux. Ainsi, sur l'Ile de Ré, l'effectif moyen compté est passé de 104 oiseaux au cours de la période 1979-1985 à 469 entre 1993 et 1999 et le recensement de 2003 y affiche 1 550 individus. Dans le même temps, le littoral ouest du Contentin a évolué de 12 individus à 259, et abrite 424 oiseaux en 2003. Le littoral est du Cotentin a aussi vu ses effectifs s'accroître considérablement : 10 individus en 1989, 443 en 1998 et 1 030 en 2001. Sur l'île d'Oléron, où l'espèce était rare au début des années 1970, la population est passée de 60 oiseaux comptés en 1979, à 540 en 1995, pour progresser jusqu’à 1 300 individus en 2002 (LPO, 2005-non publié).

Menaces potentielles

Les menaces pouvant affecter directement la pérennité de l'hivernage du Tournepierre à collier dans ses principaux sites rocheux paraissent limitées en comparaison aux multiples problèmes que rencontrent les limicoles liés aux vasières intertidales ou au littoral sableux. Cependant, la pollution marine par les hydrocarbures et les risques d'urbanisation des côtes constituent des dangers potentiels.

Actuellement, les menaces réelles qui pèsent sur le tournepierre sont toutes liées aux dérangements.

L'augmentation récente de la fréquentation touristique en dehors de la saison estivale, ainsi que de la pêche à pied touristique ou professionnelle, de plus en plus incontrôlée concernent l’essentiel des sites occupés par l’espèce. Localement, l'activité cynégétique pratiquée sur le Domaine Public Maritime peut constituer un facteur de dérangement, tant sur les zones d'alimentation que dans les reposoirs de marée haute.

Une étude réalisée dans une ZPS anglaise a hiérarchisé les facteurs de dérangements humains en fonction du niveau de la marée. La divagation des chiens poursuivant ou non les tournepierres sur la plage est le facteur de dérangement le plus important quelque soit le niveau de la marée. A marée basse, la pratique d’activité comme le char à voile est un facteur de dérangement aussi important que la divagation des chiens. A marées basse et intermédiaire, la pêche à pied est aussi un facteur de dérangement encore important. Cependant, la sensibilité des oiseaux aux activités humaines, dont la promenade, est plus accrue à marée haute qu’aux autres moments (WEBB, 2004).

La sensibilité aux activités humaines est généralement mesurée en terme de distance de fuite et une autre étude anglaise mettrait en évidence que cette réaction serait une mauvaise appréciation de la sensibilité au dérangement car il dépendrait de la condition physique de chaque individu. Un individu en bonne condition réagissant plus au dérangement qu’un individu en mauvaise condition. Ces résultats suggèrent qu’un gestionnaire de site qui ne se baserait que sur la distance de fuite pour évaluer quels oiseaux subiraient de plus grands risques, et ainsi identifier les zones où les activités humaines doivent être limitées et celles où elles n’ont pas à être encadrées, serait à même de prendre des décisions inappropriées (BEALE & MONAGHAN, 2004).

Propositions de gestion

La distribution hivernale du tournepierre étant très dispersée le long des côtes rocheuses françaises, il semble difficile d'envisager des mesures de conservation spécifiques. Cette espèce pourrait cependant bénéficier de la mise en place d’une politique visant à limiter l'accès des sites les plus importants pour l'hivernage des limicoles, qui garantissent la quiétude des reposoirs en particulier.

L'exploitation des ressources benthiques naturelles (pêche à pied) devrait faire l'objet d'une législation nationale visant à réduire l’impact de cette activité, dont le développement se poursuit.

Une campagne d’information auprès du public pour limiter la divagation des chiens et respecter les reposoirs et l’élaboration de codes de bonne conduite en collaboration avec les utilisateurs de ces espaces littoraux sont des mesures qui pourraient être efficaces (WEBB, 2004).

La limitation d’accès à l’estran de plusieurs sites côtiers importants pour les limicoles constituerait un outil conservatoire des plus efficaces. Sa mise en place pourrait passer par la désignation de réserves naturelles côtières ou faire l’objet de mesures spécifiques de conservation proposées dans les DOCOB des ZPS concernées.

Etudes et recherches à développer

Le Tournepierre à collier est une espèce peu étudiée en France. Seuls les dénombrements de la mi-janvier de chaque année animés par Wetlands International depuis 1977 pour les limicoles fournissent les éléments de base sur la connaissance du statut de l'espèce (distribution et effectifs) (MAHEO, 1978-2002).

Les dénombrements hivernaux doivent être poursuivis. Ils nécessiteraient une plus grande précision par l'amélioration de la couverture géographique et la mise en place de comptages réguliers mensuels sur les principaux sites témoins. Des études portant sur les habitats fréquentés en hiver seraient également souhaitables afin de mieux connaître les besoins de l'espèce.

Les effets du dérangement pourraient être étudiés par d’autres méthodes telles que la mesure des niveaux de stress (NIMON et al., 1996 ; FOWLER, 1999), ou celles impliquant des mesures de l’utilisation des ressources (GOSS-CUSTARD et al., 1995 ; GILL et al., 1996).

Il apparaît aussi prioritaire de développer des programmes de recherche sur l'écologie hivernale (conditions d'hivernage, régime alimentaire, origine des hivernants, etc.). Il a en effet été démontré qu’une dégradation de la qualité trophique des sites d’alimentation traditionnels (estran rocheux) dans les îles britanniques pouvait entraîner des déplacements vers d’autres ressources, parfois loin des sites d’hivernage (Smart & Gill, 2003). Une telle analyse pourrait peut-être expliquer les modifications apparentes de la distribution hivernale observées ces dernières années sur notre littoral.

Bibliographie

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